Joris Naessens, journaliste et reporter pour plusieurs journaux et émissions de la région Hauts-de-France, nous a invité dans l’émission Scarpe-Ciné pour parler de notre nouveau court-métrage Ruines quelques jours avant la soirée d’avant-première.

Écoutez l’émission et découvrez quelques secrets de tournage !

JN : Aujourd’hui j’accueille un aventurier de l’image, un chercheur de son, un plasticien du corps, un penseur de la caméra Benoît Duvette du Collectif des Routes, Bonjour.

BD : Bonjour.

JN : Vous avez fait un Master Arts Contemporain, spécialité musique, vous venez pour la deuxième fois dans nos studios pour parler de votre nouveau court-métrage Ruines, coproduit par Pictanovo et le Fresnoy, et projeté le 20 mai à 20h au cinéma l’Univers à Lille, à vos côtés avec un Master Arts et spécialité  cinéma, BTS audiovisuel, il met ses modèles en boîte dans son appareil photo, vous êtes photographe et aussi directeur de production, Camille Graule, Bonjour.

CG : Bonjour.

JN : Tourné pendant 4 jours l’été dernier dans la région, vous emmenez le  spectateur dans une fuite existentielle, de deux adolescents incarnés par Simon Royer et Paul Lecomte.

Benoît Duvette donnant des indications de jeu aux deux comédiens Simon Royer et Paul Lecomte. Photographie : Pauline Le Pichon

Deux garçons, un forêt, une voiture, en quelques mots, c’est le contexte de cette nouvelle création cinématographique conçue par vous Benoît Duvette, après le film Le Corps des Anges, l’oeuvre théâtrale Fugue et l’album Les Fausses Cicatrices, dont on écoutera deux extraits, le thème de l’adolescence transparaît dans toutes ces références, Pourquoi parler de ce passage de l’enfance à l’âge adulte Benoît Duvette ? 

BD : Pour moi, c’est un moment intéressant à explorer, parce que je pense que c’est un moment très riche dans la vie, qui permet d’un point de vue artistique d’aller chercher de multiples pistes, de multiples interrogations, et cela m’évoque, beaucoup de choses, et j’ai la sensation qu’il y a beaucoup de choses qui se passent à ce moment là, et je n’en ai pas encore tout à fait fait le tour. Pour moi, toutes ces questions, méritent que l’on s’y intéresse.

JN : Justement sur le corps, sa transformation et puis aussi sur une identité, une personnalité, un caractère qui s’affirme… 

BD : Oui c’est cela, c’est le moment où l’on est en pleine interrogation et où la construction de soi, de son identité est un moment fort, un moment durant lequel on doit faire des choix, affirmer des choses, et ça c’es très important. C’est aussi la période pendant laquelle les choix que l’on fait vont avoir des répercussions pour très longtemps. Même si l’on fait des choix tout au long de notre vie il me semble… Ce moment me semble être un des moments les plus importants de notre vie.

JN : Camille Graule, en regardant les œuvres de Benoît Duvette, quel regard vous avez sur l’adolescence ? Est ce que pour vous ce réalisateur à permis d’avoir un regard un peu plus profond sur ce que l’on voit sur l’adolescence

CG : c’est une question compliquée, je ne suis pas un spécialiste de l’adolescence dans l’art ou dans le cinéma, ni spécialiste de teen movies par exemple. C’est vrai que Benoît a une approche assez singulière. Dans son travail, l’adolescence est liée à tout un univers, à des lieux, à des espaces. C’est une thématique liée à l’intimité, ce prisme de l’intimité dans son approche est intéressant.

JN :  Dans les titres de vos productions, on peut constater l’idée de rupture, de fêlure, peut-on dire que votre cinéma filme le corps brut et en morceaux

BD : Oui, je pense que l’on peut le dire, je crois que c’est aussi pour ça que l’adolescence m’intéresse, parce que c’est le moment ou le corps d’enfant, que l’on a connut pendant longtemps, auquel on a fait confiance, c’est à ce moment que l’on quitte ce corps, que l’on perd nos repères et qu’il faut de nouveau apprivoiser l’espace avec ce nouveau corps. Cette question des morceaux est intéressante parce que c’est comme si nos bras qui grandissent, nos jambes qui s’allongent, il fallait recoller tout ça au tronc, et parfois ce n’est pas forcément évident.

JN : Comment a évoluer depuis Le Corps des Anges votre façon de filmer le corps dans l’espace ? 

BD : Depuis Le Corps des Anges, qui a été tourné en 2014, est sorti en 2015, j’ai pu travailler différents autres projets, dans lesquels j’ai pu affiner cette question et ces recherches. Je crois que depuis cette oeuvre, qui était beaucoup plus onirique que ce nouveau film Ruines, ma façon de filmer le corps a changé dans le sens où je l’aborde d’un point de vue un peu moins esthétique, et aussi d’une nouvelle façon, qui est davantage dans le mouvement, et dans le déplacement. Je crois qu’auparavant, il y avait vraiment la question du corps comme un objet, dont finalement, les personnages ne savaient pas vraiment quoi en faire. Il y avait beaucoup d’horizontalité dans Le Corps des Anges, les personnages étaient souvent  allongés, en relation avec la terre, un peu comme la/une naissance du corps. Alors que dans Ruines, je suis passé à l’étape du corps qui se débat, qui tente de sortir de l’espace.

Paul Lecomte, comédien, pendant les répétitions in situ. Photographie Benoît Duvette.

JN : Un corps chorégraphié, on peut le voir dans le court métrage effectivement. J’ai eu la chance de voir le court-métrage pour préparer l’émission, je vous propose d’écouter un extrait sonore du film. On entend l’ambiance, dans votre court-métrage Benoît Duvette. Ce nouveau film débute sur une ambiance sonore, de nuit dans une forêt. On entend « je te regarde, tu es là avec moi », avec un plan fixe, dans un endroit de la forêt entouré de fougères. On entend « reste », puis au loin, les feuilles s’agitent et un jeune homme s’installe devant nous. On entend, en voix off, « Ne m’abandonne pas, laisse moi être avec toi ». Expliquez-nous, ce début de ce film pour le moins original.

BD : J’avais vraiment envie dans ce film de parler de sentiments. Mon travail se situe avant tout dans la construction d’images. Que ce soit au cinéma ou pour le spectacle-vivant à travers la mise en scène, j’utilise beaucoup les moyens du cinéma : la caméra, la lumière, le décor, le costume, mais en moi il y aussi un amour pour les mots, même si c’est une part du travail qui pour moi reste un peu difficile. J’ai réalisé que les mots étaient certainement les plus forts pour parler d’amour. Et c’est en ce sens là que les personnages se parlent, à travers ces séquences de voix off, ils s’adressent l’un à l’autre, bien que cela reste lettre morte puisqu’ils ne se répondent pas directement. 

JN : Est ce que l’on peut dire que dans ce film, les émotions, les sentiments, sont plus forts que la raison ? 

BD : Oui, c’est évident, mais c’est toujours le cas en fait je pense. Oui, on voit bien qu’ils sont dans une situation complètement déraisonnable, qu’ils sont en train de faire quelque chose qu’ils ne devraient pas faire, donc oui, oui je crois que là les sentiments sont plus fort que la raison ! 

JN : Dans Ruines, il y aussi cette idée de fuite, pourquoi ces deux jeunes courent-ils ? Est-ce la peur d’être reconnus ? Est-ce la peur de leurs émotions ? Est-ce la peur du regard des autres  ? 

BD : Je n’ai pas précisément défini dans le film la raison de leur fuite… Je crois que l’on n’a pas besoin de le définir, parce que je pense que c’est un peu toutes ces fuites. Mais je crois que la fuite la plus importante dans le film reste la fuite de soi-même : ne pas faire face à ses sentiments et tenter de s’enfuir face à une situation qui nous effraie. Les sentiments parfois peuvent nous effrayer, et on a tous eu certainement une fois la réaction de fuir plutôt que d’y faire face. Je crois que c’est cette fuite là qui est vraiment importante.

Henri Duhamel, en charge des décors et accessoires et Simon Royer, comédien, sur le tournage. Photographie Pauline Le Pichon

JN : Camille Graule, il y a eu un tournage, expliquez nous comment ça s’est passé le tournage l’été dernier ? 

CG : C’était assez intense, parce que tout s’est déroule en 4 jours, il y avait eu en amont, quand même beaucoup de travail de repérages, de préparation, de répétitions des scènes avec les comédiens in situ, tout était assez rodé. Il y avait beaucoup de journées de tournage mixtes, c’est à dire qui commencent en journée et qui finissent la nuit. Nous avons essayé de prévoir des shift de travail raisonnables et on a assez souvent débordés car il fallait le temps d’installer toute la machinerie et, que ce soit au niveau de la lumière et de la mise en scène, il fallait réussir à tout réaliser.

JN : c’est impressionnant quand même de tourner dans la forêt la nuit, c’est toute une logistique, c’est un autre rapport, la nature n’est pas la même. Donc il faut aussi travailler avec ça, le fait que ce soit la nuit ? 

CG : Oui, c’est pour cela que nous étions une grosse équipe, puisqu’on était une petite trentaine, et il y avait un gros travail au niveau de l’installation de la lumière. Ophélie Vervacke qui était en charge de l’installation des lumières a travaillé avec 4 ou 5 électriciens sur les journées qui étaient tournées en forêt (encore merci à tous !). Pendant qu’une scène était en tournage, une autre était en installation. Ce qui était vraiment super dans la forêt, c’est la sensation que le lieu qui appartenait car il n’y avait pas de passage, il y avait une grande liberté d’action !

JN : Ces deux adolescents sont livrés à eux même dans un décor froid, sauvage et dangereux. Ils sont enfermés dans ces grands espaces. Qu’évoque pour vous la forêt ? Pourquoi avoir choisi la forêt, et on rappelle que la forêt était présente lors du Corps des Anges, votre premier court-métrage.

BD : Oui tout à fait, j’aime beaucoup la forêt, pour moi ce lieu m’évoque vraiment l’idée d’une page blanche, un lieu dans lequel on peut être libre, qui a un cadre qui peut être défini : on peut en faire le tour, faire le tour du cadre, mais on peut aussi librement la traverser dans le sens que l’on souhaite, et je crois que c’est cela qui est important dans la question de la forêt, on peut se perdre, mais on sais qu’à un moment donné, on va forcement tomber sur un chemin, qui va nous ramener, quelque-part. Bien entendu, il y a aussi l’aspect de la nature, et je crois que dans la forêt, tout est aussi très maîtrisé, c’est un endroit sauvage mais c’est aussi un endroit très maîtrisé par l’homme. Donc c’est une endroit où l’on peut décider de se mettre en danger, si j’ose dire et en même temps, on sait que on ne l’est pas du tout. Et dans ce film, je l’utilise vraiment de cette façon, c’est à dire comme un endroit où les personnages peuvent trouver refuge, et en même temps, un endroit où l’on peut malgré tout les retrouver, ils ne sont pas vraiment cachés ou perdus dans cette forêt. On sait qu’ils sont là. 

JN : La forêt c’est un peu l’endroit où plusieurs mondes se croisent : la mort, la naissance, la renaissance, des végétaux, des animaux. Quelle place a joué la forêt dans l’écriture du scénario ? Est ce que la forêt a été la pièce maîtresse dans l’écriture du scénario ? 

BD : Évidement la forêt a une place très importante, et elle l’a d’un point de vue symbolique. Je crois que la première chose dans ce film était la question de la relation entre les personnages. C’est cette question qui a toujours été centrale. Et je voulais que cette relation soit complexifiée par des éléments. Le décor de la forêt permettait de placer les personnages dans une situation symbolique qui était intéressante. Je ne veux pas raconter une histoire où l’on donne les clefs de façon transparente, mais effectivement, placer des personnages dans un certain type de relation, dans ce décors de la forêt, cela permet d’épaissir la narration. Ce qui m’intéresse vraiment c’est de dire : quand je vais construire une histoire ou une image, bien-sûr qu’il y a ce qui est visible et compréhensible (et parfois même ce qui est raconté dans les dialogues) mais ce qui est très importants ce sont tous les petits détails qui vont être dans l’image, que ce soit au niveau du décor, des costumes, des accessoires. Je vais utiliser tous ces éléments là pour épaissir le fil narratif et l’histoire que l’on est en train de raconter. Donc, ça veut dire qu’il faut prendre le temps de lire tous ces éléments, et je vais ajouter aussi que le sonore apporte énormément d’informations supplémentaires. Je travaille beaucoup sur les sons, et cela permet effectivement de situer l’action : on est parfois près de l’eau, dans un espace un peu plus ouvert, ça je vais le choisir en ajoutant en postproduction des sonorités spécifiques qui vont ouvrir spatialement l’image. Je raconte une histoire, mais symboliquement, j’y ajoute beaucoup de choses. À mon sens. ça a de l’importance de savoir que les personnages dans telle scène, lorsqu’ils sont à tels endroits, dans tel décor, tout au moins dans la situation dans laquelle on les met en scène, le sonore nous dit que pas très loin il y a peut être aussi ce genre d’espace. Je trouve que lorsque l’on arrive à décrypter tous ces symboles et éléments, on a une vision de l’image et de l’histoire qui est beaucoup plus importante et intéressante. 

Équiment micro sur le tournage. Photographie : Rémi David

JN : Dans votre réalisation, que j’apprécie, il y a un véritable effort et travail sur le son. On pourrait presque fermer les yeux et se faire sa propre histoire rien qu’en écoutant les sons. 

BD : Je n’ai pas fait d’études en cinéma, j’ai une culture cinématographique assez réduite, donc j’aborde le cinéma à ma façon. bon.. peut-être que cela peut se critiquer, en tous cas je cherche toujours à être honnête avec moi-même, et ce que je sais, de moi-même, c’est que pour moi, le cinéma c’est un mélange d’images et de sons. En ce sens là, on peut décider que l’image va prendre une part plus importante dans la réalisation d’un film, mais on peut aussi décider que le son va prendre une part égale voire une part plus importante que l’image à un moment donné. Et donc quand je construis un film, je le pense aussi bien d’un point de vue sonore, que d’une point de vue image

JN : Comment ça s’est passé de tourner dans la forêt, outre les piqûres de moustiques et insectes. Est-ce que l’ambiance est plaisante de travailler la nuit dans la forêt pour vous Camille Graule en tant que directeur de production ? 

CG : Oui, c’est plaisant parce qu’il y a une ambiance particulière. Nous avons tourné en juillet, il faisait vraiment très chaud, nous attendions tous la nuit pour se sentir un peu plus à l’aise. D’un point de vue logistique, c’est un plateau de cinéma qui est très vaste, donc ça demande une certaine organisation, d’autant que nous étions dans une forêt protégée, une forêt domaniale. Par exemple, pour les véhicules ce n’était pas évident. De ce point de vue, cela a demandé de la rigueur et de l’organisation pour le tournage.  

JN : Est-ce que toutes les scènes que vous avez tournées sont dans le film ou est-ce que vous avez du faire des cut au montage ? 

CG : Pratiquement toutes les scènes qui ont été filmées se retrouvent dans le film, nous avons eu un gros orage sur une des scènes, qui dans une première version était coupée au montage, et qui par la suite, dans une autre version, a été réinjectée partiellement. En milieu naturel, nous sommes tributaires de la météo. Donc, sur 4 jours, nous avons eu de la chance trois jours et demi et sur le moment de l’orage, là il a fallu revoir le planning de tournage.

JN : Et quand la météo s’en mêle, ce n’est pas forcément facile… Vous avez tourné à Gravelines pour une scène, parlez nous de cette séquence qui dans le film est impressionnante ! 

CG : Oui, nous avons tourné dans le Parc d’aviron de Gravelines, qui est en fait une zone aquatique artificielle à ciel ouvert. Nous avons choisi ce lieu par facilité d’organisation et du fait que Benoît voulait mettre à un moment le personnage au milieu du lac. C’était plus compliqué de le faire en forêt domaniale que dans un espace qui était ouvert mais très structuré. Je suis assez content du résultat car au montage on ne se rend pas compte qu’on est dans un lieu différent… Après je ne veux pas trop décrire l’image, car ça se verra dans le film, mais c’est vrai qu’il y a ce personnage qui est au milieu de l’eau et il y a une forte présence de cette eau que l’on a filmé.

Au PAarc des Rives de l'Aa à Gravelines pour le tournage des scènes sur l'eau. Photographie : Pauline Le Pichon

JN : L’eau que l’on retrouve dans Le Corps des Anges, il y a aussi ce travail sur l’eau, le corps avec l’eau, le corps avec la matière. Mais ma question c’est plutôt, Benoît Duvette, pour ce deuxième court-métrage, on prend des risques ! Vous dites « j’ai envie de tourner au milieu d’un lac »… Ce n’est pas facile ça ?

BD : Oui ce n’est pas facile…! Pour reprendre un petit peu ce que je disais avant, quand j’écris un scénario, je ne me demande pas comment cela va s’organiser en terme de production,  je me demande ce qui est important pour mon histoire, et ce que j’ai envie de raconter, et après je soumets mes idées à Camille, et je lui dis : « voilà je voudrais que l’on tourne une séquence où le personnage est au milieu de l’eau, où  il nage, et tout ça, le spectateur doit se dire que c’est en plein milieu d’une forêt » Là, on cherche des solutions. Aussi, j’ai certainement la chance d’être systématiquement accompagné par des équipes qui sont superbes, et en ce sens là je les remercie beaucoup. Je suis là pour apporter des choses, lancer un projet, mais je ne le fais pas tout seul. Et toutes les personnes qui me suivent dans mes idées un peu folles, le font avec passion, force et énergie, donc je voudrais les remercier de m’avoir suivi dans cette aventure, et pour certain de m’avoir suivi dans les précédentes aventures, parce que sans les personnes qui font confiance aux artistes, on n’arriverait pas à mener les projets que l’on propose au public. On met souvent en valeur le réalisateur, les acteurs, etc, mais toutes les personnes dans une équipe de film sont importantes et ça il faut le redire.

JN : un réalisateur n’est effectivement rien sans ses techniciens, et sans ses acteurs ! Ces acteurs Simon Royer et Paul Lecomte, deux jeunes acteurs qui dégagent vraiment un naturel, une énergie communicative, comment dirige-t-on ces jeunes acteurs sur un plateau à ciel ouvert Benoît Duvette ? 

BD : On les dirige en les préparant beaucoup. J’ai fait deux jours de répétitions et de préparation avec eux. Si j’avais un conseil à donner aux jeunes réalisateurs, c’est de préparer en répétition les éléments avec vos comédiens, car c’est là que tout ce joue. Cela dépend du genre de cinéma que l’on fait, mais quand on est sur un plateau en pleine foret, et où le tournage commence à 22h30 et se termine au milieu de la nuit, on a très peu de temps pour refaire beaucoup de prises, expliquer aux comédiens que le jeu doit être différent et qu’ils intègrent les remarques. Donc il faut vraiment faire des répétitions. Pour nous, c’est là que tout c’est joué, les comédiens ont assimilé ce que j’attendais d’eux vis à vis des personnages. Ils avaient une lecture des personnages, une image, une vision des personnages qui étaient la leur, on a commencé  à travailler et je me suis rendu compte que cette direction n’était pas du tout celle que moi j’avais envie de prendre. En travaillant, en travaillant, au fur et à mesure, ils me disaient qu’ils commençaient à comprendre quelle était l’ambiance, l’enjeu que j’avais envie de suivre. Je leur ai montré des travaux précédents pour avoir des supports, pour pouvoir dialoguer. Tout cela fait qu’au moment du tournage, avec l’ajout des décors, des costumes et des accessoires, on est directement au bon endroit pour le jeu. Sur le plateau, on ajuste les détails mais l’écriture des personnages se fait avec les comédiens en répétitions. Par exemple, le jour où nous avons eu de l’orage, nous avons dû modifier le planning de tournage, et avons dû faire la scène dialoguée un jour où elle n’était pas prévue. Par manque de temps, nous avons dû tourner un des comédien en plan rapproché, faire une seule prise, et je pense que si ne nous n’avions pas préparé en amont, ça aurait été catastrophique. Mais là, nous avons tous été surpris par la qualité de la proposition, de la seule et première proposition qui était donnée sur le plateau.

L'équipe décors et accessoires pendant les essais du radeau.

JN : C’est un film physique où le corps parle, il y a un travail encore plus important de la part des acteurs, c’est le corps qui parle… 

BD : Oui. La mise en situation sur le plateau est très importante. Nous sommes aussi allés sur les décors pour faire des répétitions, pour voir l’ambiance, comprendre l’enjeu de l’espace. Cela m’a permis de me rendre compte des volumes des choses, réajuster mon découpage technique. Pour une des scènes, celle de l’eau, je me suis mis à l’eau en répétitions, j’ai aussi expérimenté les accessoires, les situations, pour comprendre personnellement dans quelles situations allaient se retrouver techniquement les comédiens pour ensuite pouvoir les guider, et pouvoir leur demander des choses qu’il allait être dans la capacité de faire, et non pas des choses trop compliquée voire impossible à faire avec moi, à distance, qui dirait, « aller fait un effort, fait le ! » alors qu’en fait, c’est impossible… Donc je crois que c’est aussi très important lorsque l’on demande quelque chose à des comédiens de les travailler avec eux et d’en saisir soi-même physiquement les enjeux. 

JN : Je vous propose, chers auditeurs, d’écouter un extrait de la séquence dialoguée dont nous parle Benoît Duvette. […] J’ai choisi cette séquence où les deux garçons sont dans une voiture, isolés, à l’abandon, on ne connait pas la nature de leur relation, est-ce qu’ils sont frères, amis, de la même famille, en couple ? C’est le spectateur qui fait vraiment son interprétation. L’un deux perce l’oreille de l’autre, symbole peut-être d’une appartenance, d’un signe qui permet de les reconnaître. l’un va enlever sa boucle d’oreille pour la remettre à l’autre. Expliquez nous le choix de cette scène où l’on entend les acteurs qui chochotte aussi à nos oreilles, est-ce un choix aussi pour diriger les acteurs ?

BD : Cette scène est vraiment au plus près de l’intimité, et cela me semblait être primordial que les comédiens chuchotent… Parce que c’est la nuit, ils sont dans un contexte où il y a très peu de sons autour d’eux, quelque chose de très feutré. Et comme on comprend, depuis le début du film, qu’ils essaient de se faire discrets, de se cacher, très vite on a décidé avec les comédiens que la scène serait chuchotée. Cela met en avant cette question de l’intimité. Parfois dans la vie on parle en chuchotant, le registre de la voix est multiple… Au niveau de la prise de son au tournage c’était un peu compliqué… Il aurait fallu qu’ils parlent un peu plus fort, je disais non non non, je voulais vraiment ce réalisme dans cette scène, c’est important. Au mixage on me disait aussi que ça allait être très compliqué de respecter les normes audio, surtout pour les dialogues… Mais je crois que parfois c’est important de se moquer un peu de tout ça (les normes) et de se dire qu’il faut rester au plus prêt des choses. 

JN : Et que le spectateur aussi ne soit pas que spectateur, mais là, on tend l’oreille, on a envie d’écouter, on a envie de fermer les yeux et être attentif, on est encore plus attentif aux sons avec cette scène.

BD : Oui, le dialogue à son importance. Mais il est assez descriptif par rapport à ce qui est en train de se faire à l’image, je crois que le contenu même du dialogue n’est pas forcément primordial, et parfois c’est un petit peu ça qui se passe dans la vie : on peut voir des choses, les entendre assez faiblement, mais comprendre l’enjeux de la situation. Les dialogues n’étaient pas écris pour expliquer quelque chose d’essentiel, mais plutôt pour venir compléter l’image. On pourrait écouter uniquement le son, tout comme on pourrait regarder uniquement l’image, les deux ajoutent des informations, mais ne disent pas quelque chose d’opposé. Dans mon cinéma, je fais aussi un travail qui est de l’ordre de la sensation. Ce que je cherche aussi au niveau du montage. Je tends à réaliser quelque chose qui va procurer une sensation. Bien-sûr il y a une histoire, j’essaie d’injecter une histoire, mais ce qui m’intéresse c’est qu’à la fin le spectateur ait ressenti une émotion. 

JN : Camille Graule, cette scène se passe dans une voiture au milieu du forêt, en terme de tournage, c’est aussi une logistique. 

CG : Oui, il y avait plusieurs possibilités, soit de tourner en studio et de recréer le décor que l’on peut percevoir à travers les vitres, recréer les teintes et l’ambiance de la forêt, soit tourner en forêt. En terme de logistique, ce n’était pas la scène la plus compliquée, ça reste un habitacle, les acteurs étaient dans un endroit fermé, et ce n’est pas dans cette scène qu’il y avait le plus de machinerie. 

JN : Néanmoins, il y a un espace clos, on le voit dans des extraits que vous mettez sur votre site, où c’est quand même filmé dans une voiture, c’est comme un huis clos. 

CG : Ça reste une scène centrale, pas seulement parce que au niveau du montage elle se trouve au milieu du film, mai aussi parce que l’on vient de voir des décors naturels en plan large et d’un coup on se retrouve avec ces personnages. À ce moment là, on est vraiment au creux de la nuit, avec les personnages, dans une scène assez intime, on peut le dire. 

JN : Dans la musique, comme dans votre film Ruines, vous montrez ces douleurs visibles et invisibles, ces cicatrices. Que représentent-elles pour vous ces cicatrices ? 

BD : Dans mon travail, j’interroge beaucoup la question de l’identité, par le prisme du corps. Je crois que je considère le corps comme une enveloppe. La peau nécessairement est cette enveloppe. Les cicatrices sont les marques sur notre peau qui témoignent de notre identité à travers le temps. Le temps et l’espace sont des notions très importantes dans mon travail. C’est une première approche sur la question de l’identité vis-à-vis des cicatrices. Je ne me suis jamais vraiment posé la questions, mais je ne sais pas si tout le monde à des cicatrices, je pense qu’on à tous des cicatrices de différentes natures. Il y a aussi la question de la douleur à travers le mot et la question de la cicatrice. Peut-être aussi , je peux faire un rapprochement avec la question de l’épreuve. Quand on avance dans la vie on a des épreuves à passer… C’est peut-être un bien grand mot, une bien grande phrase, mais ça me semble être ma vision de la chose, en tous cas on a des épreuves à passer, et je crois que certaines épreuves sont douloureuses, certaines épreuves font que sur notre corps et dans notre identité, il y a des traces qui restent marquées

JN : Et ces cicatrices sont comme ces ruines, puisque le titre du film est Ruines. À partir de ces cicatrices, ces ruines, on essaie de se reconstruire. C’est un nouveau moi, mais c’est à partir de sa propre identité quand même ? 

BD : Je crois que vraiment cette enveloppe charnelle, avec le temps qui nous marque, les choses qui nous marquent, les épreuves qui nous marquent, on est obligé de faire avec, et si on refuse son corps, si on refuse ces marques on se refuse soi-même. Et je crois qu’une des premières choses à faire pour être soi c’est accepter son corps et accepter la façon dont notre corps est, faire que notre vie va se construire, notre identité va se construire. Demain, notre corps peut-être totalement bouleversé par une épreuve, à tous les instants on doit se réinterroger sur nous, sur notre identité à travers notre corps. 

JN : une réflexion sur l’identité dans le film Ruines

Benoît Duvette, réalisateur et Camille Graule, directeur de production du Collectif des Routes sont les invités de Scarpe Ciné au sujet du film Ruines – mai 2019.