À l’occasion de Fugue – Extirper au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, le journaliste Joris Naessens a posé quelques questions à Edel Pradot, interprète et Benoît Duvette, metteur en scène du projet.
Retranscription de l’émission :
Jorris Naessens — Benoît Duvette, artiste pluridisciplinaire, a conçu une création théâtrale et sonore Fugue. Accompagné par l’Espace Pasolini à Valenciennes et soutenu par la Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France, il propose un seul-en-scène autour de cinq plateaux qui traitent de la question du corps et de l’adolescence. À partir d’un objet, ce dernier construit une histoire, un mouvement, qui se développe pendant 30 minutes. Sur scène, Edel Pradot, danseur de formation Hip-hop et contemporain. Après la représentation de Fugue – Extirper au Musée des Beaux-Arts, le metteur en scène et l’interprète ont expliqué le travail de cette œuvre. Edel Pradot raconte sa relation avec le personnage et son travail sur le corps.
Edel Pradot — Ça passe, dans un premier temps, par un certain nombre d’actions qui sont à faire pour que le personnage puisse créer cet espace et ce temps à l’intérieur duquel il évolue. Je crois que c’est à travers ces actions que se construit vraiment la personnalité du personnage, comment il évolue à l’intérieur. C’est aussi, comment cette personnalité tend à faire évoluer le personnage. Je crois que la construction du personnage passe par là, et aussi par la manière dont nous travaillons : il y a ce personnage, à un endroit en particulier, et il va à un autre point, et à l’intérieur de cela, il se passe certaines choses que je dois faire évoluer par l’interprétation.
J. N. — Vous vous reflétez dans cette histoire ? Dans ce personnage ? Êtes-vous allé chercher des histoires issues de vous-même pour construire ce personnage très profond et qui s’exprime devant les spectateurs.
E. P. — Oui, toujours avec ce jeu qui me parait important dans Fugue : la dissimulation, montrer et ne pas montrer certaines choses. À certains endroits, le personnage montre quelque chose qui, pour moi aussi, au moment de faire l’action, me rappelle des choses. Et en même temps, il y a toujours le moment où l’on ravale pour ne pas trop en montrer. Un jeu comme ça entre se montrer soi et en même temps rester actif dans le personnage.
J. N. — Benoît Duvette, c’est aussi difficile car il y a beaucoup d’émotions dans ce spectacle que l’on a pu voir notamment au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes. C’est difficile de contrôler des émotions ?
Benoît Duvette — Oui, c’est difficile de contrôler des émotions. C’est difficile aussi de réussir à exprimer ou de faire s’exprimer la bonne émotion. Parfois, on pense faire quelque chose qui va dans une direction et on se rend compte, lorsque l’on rencontre le public et que le public rencontre le spectacle, que certaines choses sont différentes de ce que nous pensions, de notre sentiment.
J. N. — Ce travail de mise en scène, notamment ce spectacle se joue beaucoup dans la pénombre, pourquoi ce choix : peu de lumière ?
B. D. — C’est le cas dans les mouvements que l’on a pu jouer, entre autres, à l’Espace Pasolini dans le cadre des résidences de recherche. Le choix de la lumière, je le travaille toujours de façon très plastique. Pour que la matière se présente, j’aime bien partir du noir et ensuite venir éclairer, pointer, montrer : faire de la sculpture avec la lumière, c’est de cette façon que je vois l’utilisation de la lumière dans mon travail.
J. N. — Le spectacle commence, le personnage arrive de loin, il est habillé puis, au fur et à mesure, il défait ses vêtements pour se retrouver en slip, c’est une mise à nu du personnage. Dans ce rapport au corps, ce travail sur l’adolescence, est-ce une mise à nu de l’adolescence via ce personnage que l’on ne connaît pas ?
B. D. — Il y a une question importante dans mon travail, c’est la question de la peau et des différentes strates d’histoire vécue qui peuvent venir se mettre sur notre peau. J’ai l’impression qu’en retirant ses habits, le personnage propose d’exposer ses histoires, de dire : « je ne peux plus rien retirer donc ce que je suis en train de montrer c’est presque mon âme, c’est mon corps sans artifice. » Artifice, non pas dans le sens du vêtement mais dans le sens de la capacité à dissimuler quelque chose de supplémentaire.
J. N. — Les 21 et 22 novembre 2018, au cœur du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, le mouvement nommé Extirper était présenté. Au milieu des œuvres, une balançoire et un adolescent. Le danseur Edel Pradot raconte son expérience sur un des mouvements de Fugue.
E. P. — Prendre l’espace et l’occuper, le construire, avec ce que j’ai à portée de main pour délimiter mon espace. Il n’y a pas que l’espace de la balançoire, il y a tout ce qui est autour. C’est avec un rapport à la matière que se construit les actions et l’évolution du personnage. Finalement, presque aucune matière n’est négligeable. Tout ce qui est en présence a, à un moment, une certaine valeur.
J. N. — Il y a un rapport à la matière, au personnage, et pas de rapport « terre à terre » avec la balançoire.
B. D. — Je travaille beaucoup la question des contraires et ici, on sent que la balançoire peut permettre au personnage de décoller, de s’envoler et en même temps on voit qu’elle le ramène aussi au sol, elle l’empêche de sortir de cet espace : une cage ou une forme de prison qui le bloque. Il y a un peu cette figure animale, parfois l’oiseau dans sa cage, l’animal sur son territoire, dans lequel il tourne en rond, qu’il essaie de délimiter, de s’approprier. Ces contraires, j’aime les exploiter. Cela montre que parfois on pense pouvoir faire des choses et en réalité, des limites s’imposent sans qu’on le veuille, sans qu’on en ait conscience.
Pour la composition du son, dans le projet Fugue, je commence par chercher des paysages sonores qui me parlent et m’intéressent et je créée la forme globale du spectacle avec ces différentes ambiances donc je donne l’énergie du spectacle. Dans les étapes de recherche, je proposais cette première bande son et c’est avec les envies de mise en scène que l’on voyait comment le son réagissait avec le plateau. Et au fur et à mesure, la musique s’affine. Je cherche des matières supplémentaires en lien avec le propos qui se dessine. Affiner le rythme, la tension, créer de l’émotion, du vide, du poids, tous ces éléments supplémentaires qui viennent coller à l’image qui est en train de se dérouler au plateau.
E. P. — En fait, je ne cerne pas de points dans les différents mouvements de Fugue qui me rappellent des choses vécues mais ce sont des moments infimes qui créent des sensations et des évocations. Par exemple, certains accessoires comme la balançoire, m’évoquent l’enfance. Ce sont des sensations aériennes, l’air, le son, qui me rappellent des choses. C’est le cas dans la plupart des mouvements de Fugue, il n’y en a pas un mouvement qui m’évoque en particulier une chose vécue.
J. N. — Lorsque le personnage déambule, est-il heureux, triste, inquiet ? Il y a plein d’émotions mais nous n’arrivons pas à attribuer une émotion au personnage.
B. D. — Je crois qu’il y a la question de la transe, et une espèce de masque que le personnage a sur son visage, un masque d’expression neutre qui aide le spectateur à entrer dans cette transe, cet envoûtement. Cette neutralité aide à se projeter, à s’identifier au personnage qui est à la fois fort en émotions et en même temps assez vide, donc dans lequel il y a beaucoup de place pour se mettre soi-même, projeter sa propre histoire.
J. N. — Fugue questionne l’adolescence, le rituel, le rapport au corps, c’est un vrai voyage. Un voyage qui s’est construit sur plusieurs mois ? Comment s’est construit cette création ? Est-ce qu’elle se construit encore aujourd’hui?
B. D. — Le projet est né de plusieurs résidences, dans le cadre d’abord de dispositifs Drac (Pas à pas et Pas de côté), j’ai eu la chance de pouvoir travailler à l’Espace Pasolini de Valenciennes pendant deux saisons, pour rechercher sur mes thématiques qui aboutissent à ce projet. Et pour jouer au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, il y a eu un travail d’adaptation, à plusieurs niveaux : pour la partie scénographie, la partie musique, la partie lumière (que l’on a dû retirer). Cela a amené de nouveaux paramètres et a permis au projet de continuer de se créer, se rechercher, s’expérimenter. En fonction du lieu dans lequel le projet est joué, la création n’est pas terminée. Je me dis que dans plein de lieux qui m’interpellent en région, le projet pourrait raconter de belles histoires et être transposé, proposé dans des formes qui me permettraient de continuer d’explorer ces questions d’espaces, ces questions de territoire qui me sont assez chères.
Reportage réalisé par Joris Naessens de Radio Club. – Novembre 2018